Sur l’île d’Oléron, Roule ma frite carbure à l’huile de friture recyclée
Le Monde.fr | • Mis à jour le Par Pierre Le Hir – Oléron (Charente-Maritime) Envoyé spécial
Un jerricane d’huile dans le réservoir, et roule la « barquette » ! Le petit nom donné par l’association Roule ma frite à son « véhicule local et collectif de transport social« , alimenté avec de l’huile de friture recyclée.
Roule ma frite, la barquette… On croirait une blague de potache, si l’initiative ne s’appuyait sur un travail mené depuis plusieurs années sur l’île d’Oléron, avec le soutien des collectivités territoriales et des acteurs locaux. « Au début, tout le monde nous prenait pour des rigolos. Aujourd’hui, les gens se sont appropriés notre démarche », jubile Grégory Gendre, 34 ans, fondateur de l’association.
Cet enfant du pays, ex-journaliste économique et ancien chargé de communication de Greenpeace, s’est lancé en 2007 dans la collecte et le recyclage des huiles alimentaires usagées. La voie avait été ouverte en Allemagne dans les années 70, par des militants alternatifs du mouvement autonome, puis suivie un temps à Marseille, au début des années 2000. Roule ma frite-17 (pour Charente-Maritime) a pris le relais, en s’enracinant dans le tissu économique et social d’Oléron.
« ICI, IL FAUT S’ENTRAIDER »
Le principe est simple. Un véhicule utilitaire – roulant lui-même à l’huile recyclée – récupère les huiles de friture usagées des restaurants, snacks, campings, collèges, maisons de retraite ou particuliers. Un ramassage quotidien est organisé en été, quand la population de l’île grimpe de 25 000 à 250 000 habitants, une à deux par semaine le reste de l’année, chaque litre d’huile consommé pour le transport permettant d’en collecter entre 50 et 60. Coût du service pour la petite centaine d’adhérents : 50 euros de cotisation annuelle, certains versant volontairement jusqu’à 100 ou 150 euros.
Pierrick Moisy, qui tient le restaurant Le P’tit Bouchon à Saint-Pierre-d’Oléron, est un convaincu de la première heure. « Cela m’évite, gratuitement ou presque, d’apporter mes huiles usagées en déchetterie, explique-t-il. Et la valorisation de ces déchets sur place est un bon point pour l’environnement et l’économie locale. Ici, il faut s’entraider. »
Le liquide gras est traité dans un atelier artisanal, sur l’écopôle de la communauté de communes. « L’an dernier, nous avons fait 22 000 litres », annonce Romain Gaudier, responsable de l’installation. Le produit décante en bidon, le temps que se déposent les impuretés, avant d’être filtré sous vide. Il en sort une huile couleur d’ambre clair, vendue aux adhérents 70 centimes le litre. Un prix imbattable qui « aide certaines familles à boucler les fins de mois ».
PREMIER TEST : LE PETIT TRAIN TOURISTIQUE
Chaque jour, Roule ma frite reçoit, de toute la France, des appels d’automobilistes voulant passer commande. « Nous ne sommes pas pompistes, répond Romain Gaudier. Ce que nous voulons, c’est réduire l’empreinte carbone. Et faire de la pédagogie avec les restaurateurs, en les incitant à proscrire l’huile de palme, cause de déforestation. »
Avec les anciens moteurs diesel, l’huile de récupération peut être utilisée pure, sauf lors des grands froids, qui la rendent moins fluide. Pour les moteurs à injection plus récents, il faut la mélanger au diesel et un kit de bicarburation est nécessaire. Un premier test à grande échelle a été réalisé en 2010 et 2011, avec le petit train touristique de Saint-Trojan. Roule ma frite veut aujourd’hui prolonger l’expérience avec sa « barquette », pour y véhiculer travailleurs saisonniers, demandeurs d’emploi, personnes âgées isolées, scolaires ou utilisateurs des Restos du cœur.
Problème : en France, rouler à l’huile de friture – qui n’est pas homologuée comme carburant, et qui échappe donc à la taxe intérieure sur les produits pétroliers – est interdit. L’association espère, comme cela avait été le cas pour le petit train, une dérogation de la Direction générale de l’énergie et du climat. Au ministère de l’écologie qui préconise, comme additif au diesel, les esters d’huiles alimentaires, produits par des groupes industriels et aux performances environnementales supérieures, elle fait valoir que l’huile de friture est moins polluante que le diesel pur, surtout quand elle est recyclée en circuit court.
Au cas où le fisc s’en mêlerait, elle a tout de même provisionné quelques milliers d’euros. « Reste à savoir comment on taxe le kilomètre social », observe Grégory Gendre.
« À VISAGE DÉCOUVERT »
En attendant, l’équipe persévère, « dans l’illégalité peut-être mais à visage découvert ». Cela, avec l’appui des communautés de communes. « Dans un territoire insulaire comme le nôtre, toute action originale prouvant que le développement durable n’est pas une théorie fumeuse, mais peut se mettre en oeuvre de façon concrète, est la bienvenue », défend Jean-Claude Mercier, directeur du syndicat mixte du pays Marennes-Oléron. En octobre 2012, Roule ma frite a même reçu une « mention spéciale » lors de la remise par Ségolène Royal, présidente (PS) de la région Poitou-Charentes, des « trophées croissance verte-innovation ».
La petite entreprise sociale et solidaire, qui compte désormais quatre salariés et qui va créer une société coopérative d’intérêt collectif, n’est pas en panne d’idées. Exemples : faire tourner à l’huile de friture un chariot-élevateur pour bateaux, en partenariat avec les pêcheurs ; s’associer avec un constructeur automobile pour mettre au point des moteurs adaptés à l’huile végétale ; ouvrir un centre de méthanisation des déchets organiques ; créer une unité de recyclage des coquilles de moules en adjuvant au plastique ; imaginer, avec le centre de recherche sur le carbone renouvelable de Poitou-Charentes, Valagro, une filière de valorisation des algues…
Autant de projets conçus comme « des solutions de gestion des déchets et de production d’énergie locales, simples et pas chères ».
Pierre Le Hir – Oléron (Charente-Maritime) Envoyé spécial